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Un symposium à Vienne sur la coopération entre conservatoires et société

L’Université de musique et des arts vivants de Vienne qui, comme un symbole d’installation dans la modernité, est située sur la place Anton Webern, a réuni les 10 et 11 octobre cent cinquante directeurs de conservatoires, pédagogues et chercheurs pour un symposium dont le titre était la … « collaboration ».

Ce terme qui, en français, a une connotation historique nauséeuse qu’il n’a pas en anglais, était pris dans son sens de « coopération » : avec quels établissements ou institutions les conservatoires doivent-ils coopérer pour faire évoluer leur pédagogie et leur poids dans la société ?

Le symposium était organisé en partenariat avec l’European Music School Union, présidée par Philippe Dalarun, et la Conférence des écoles de musique d’Autriche, la Komu, présidée par la musicologue Michaela Hahn, et avec le concours de la Fédération Française et l’Enseignement Artistique.

Cette fédération était représentée par l’un de ses vice-présidents, Jean-Paul Alimi, son trésorier, David Lalloz, et son président, signataire de ces lignes.

Dans un brillant discours d’ouverture, Philippe Dalarun fit valoir que la pédagogie musicale, au XXIème siècle, « ne peut être isolée de la société dans laquelle on vit, de sa complexité, de sa mixité sociale et culturelle, de son évolution dans le monde du numérique et de l’intelligence artificielle ».

L’essentiel des débats a porté sur la coopération entre les conservatoires et les établissements d’enseignement général.

Afin que la musique en milieu scolaire soit de qualité, elle doit être confiée à des enseignants provenant des conservatoires : tel est le souhait de l’autrichienne Isolde Malmberg, vice-présidente de l’« Association Européenne pour la musique à l’école ».

Intervenir en musique dans les milieux scolaires n’est pas chose évidente. « L’attention et les comportements des enfants d’aujourd’hui sont largement affectés par leur addiction aux jeux électroniques, a souligné Thomas Bollinger, de l’Université de Genève, faisant référence aux travaux de Bernard Stiegler, philosophe spécialisé dans les mutations sociales actuelles. »

Thomas Bollinger a soutenu que la pratique d’un instrument de musique « pouvait remettre de l’ordre dans les comportements des jeunes ». 

Clara James, professeur dans la même Université de Genève, a confirmé, elle, que la pratique orchestrale à l’école est bénéfique à la réussite scolaire en général, se référant à une étude scientifique menée pendant deux ans : les élèves gagnent en attention, raisonnement, sociabilité.

Ce constat a été fait sur le terrain par deux enseignants musiciens en milieu scolaire, qui ont apporté leur témoignage : la française Gabrielle Rachel Barbier-Hayward, qui enseigne au conservatoire et dans les écoles de Taverny dans la banlieue parisienne ou la Danoise Birgitte Momme, professeur à l’Académie nationale de musique à Odense. Celle-ci nous a livré des réflexions d’élèves : « Je ne savais pas que c’était si beau de jouer d’un instrument de musique » ; « Je m’aperçois que je peux exprimer mes émotions à travers mon instrument ... », « Maintenant, je vais au concert et je suis heureux... ».

Voilà de quoi récompenser le travail des pédagogues !

La réussite de la « collaboration » entre école de musique et école publique tient beaucoup à la bonne volonté des enseignants, des deux côtés. Rafaello Diambrini, directeur de l’ « Academia d’archi » en Suisse, a demandé que les instituteurs ne soient pas passifs et s’intègrent aux orchestres de leurs élèves.

La pratique orchestrale est liée, bien sûr, à la pédagogie de groupe. Ce fut un autre grand sujet du symposium.

Pour schématiser, l’Europe de l’Est demeure très attachée à l’enseignement individuel tandis que l’Europe du Nord est à fond pour l’enseignement collectif. (Témoignage d’Adriana Tillborg de l’Académie de Malmö, Anders Ronningen, de l’Université de Norvège, Hanna Backer-Johnson de l’Université des Arts d’Helsinki). Et la France, dans tout ça ? Elle a une position médiane et équilibrée : attachée à l’individuel mais évoluant vers le collectif.

Martin Galmiche, enseignant attaché au centre d’« Apprentissage instrumental et d’invention collective » du conservatoire à rayonnement régional de Lyon, intervenant dans les écoles des quartiers difficiles de la métropole lyonnaise, a fait remarquer que «  l’évaluation individuelle des élèves au sein d’un enseignement collectif est peu pratiquée dans l’enseignement instrumental alors qu’elle est courante dans l’enseignement de la danse ».

Même si des tendances communes apparaissent dans les souhaits et les objectifs, les manières de faire sont différentes d’un pays à l’autre.

Philippe Dalarun souligne : « On ne peut imposer le même modèle d’enseignement à tous les pays, chacun ayant son histoire, ses traditions, son contexte socio-économique, ses manières de penser et sa vision de l’avenir propres. »

Avis repris par Dorothy Conaghan, professeur à l’Université de Dublin, par ailleurs spécialiste de la pédagogie de groupe qui effectue de nombreuses missions à l’étranger : « Tandis que certains pays ont un long passé d’enseignement musical public, l’enseignement musical en Irlande, jusque dans les années cinquante, n’était assuré que par les religieux. Et il n’y actuellement que six écoles musicales publiques pour 4.800.000 d’habitants. »

Et qu’est-ce qui arrivera avec le Brexit ? L’avenir nous le dira. Là, on était hors des limites du symposium…

Pendant deux jours, les débats se sont suivis à ma manière d’un marathon – et cela pendant que se déroulait dans les rues de Vienne un autre marathon, sportif celui-là : le marathon historique au cours duquel un coureur est descendu pour la première fois en dessous des deux heures. Aucun d’entre nous n’a eu le temps d’y participer. Qui sait si le record n’en aurait pas été modifié ?

André PEYREGNE

Philippe Dalarun